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Un espace alpin sauvage deviendrait une zone industrielle
Mountain Wilderness Suisse
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Le ruban de barrage n’a tout simplement pas sa place ici. Il dérange mon regard qui se promène sur cet espace vierge et sur les sacs de couchage de notre « camp de protestation » comme l’on intitulé les médias. Autour de nous, majestueux, se dressent le Weissmies, le Lagginhorn et le Fletschhorn. N’est-ce pas une raison suffisante pour sauver cette région ? Je suis à l’Alpjerung au-dessus de Gondo. Hier dans le cadre de notre « feu dans les Alpes » nous avons manifesté contre le parc solaire alpin « Gondosolar ». Le ruban rouge et blanc déployé sur place donne une idée de l’ampleur du chantier. Cependant la grandeur du projet reste inimaginable : selon les plans, 200 rangées de 4500 éléments solaires devraient bientôt transformer ce paysage extraordinaire en zone industrielle grande comme 14 terrains de football.
Le terrain est différent de ce que la plupart des membres du groupe avaient imaginé : Il est vaste, ce n’est pas une simple pente sans grand relief. Les nombreuses dolines, croupes, les arbres morts et les ensembles rocheux offrent une diversité inépuisable d’habitats pour la faune alpine. Des ruines de bâtiments d’alpage émergent partout de l’herbe jaunâtre et rappellent le temps révolu où l’alpage était encore exploité de manière intensive. « Gondosolar » donnerait un signal totalement erroné. Quelle coopérative d’alpage ne souhaiterait pas dorer un alpage isolé si « Gondosolar » devait être mis en œuvre ? Il s’agirait d’un modèle commercial basé sur l’exploitation des derniers espaces inexploités de Suisse. On ne peut guère faire moins durable. Nous avons besoin de ces espaces : comme zones de refuge pour la flore et la faune et comme espaces d’expérience pour nous, les hommes.
En bas, le « camp de protestation » se réveille lentement. C’est un groupe hétéroclite. Il y a un couple de Français qui parcourt la Via Alpina pendant trois mois et qui met l’accent sur l’importance de la durabilité dans les Alpes. Une femme d’âge moyen, dont le travail est consacré à la transition énergétique, a passé la nuit à l’air libre sans sourciller. Au matin, nos sacs de couchage sont trempés par la rosée. Des bribes de mots résonnent en italien, en français, en anglais et en allemand. Nous sommes tous unis par le sens de la durabilité et l’amour des montagnes, de la nature et du paysage. Hier, alors que nous étions en train de préparer le repas du soir, l’alpagiste de l’alpage de Vallescia est passée devant nous avec un fagôt de bois péniblement ramassé et quelques vaches. Son alpage se trouve en Italie, juste de l’autre côté de la frontière. Comment se sentirait-elle si elle traversait un jour une forêt solaire pour ramasser du bois de chauffage ? Bivouaquer à un endroit permet d’établir une autre relation avec lui. Nous avons vu la lune, pratiquement encore pleine, se lever en orange. Certains ont eu le privilège d’observer quelques étoiles filantes. Nous avons constaté à quel point le calme et l’authenticité règnent ici.
La veille, la situation était encore différente. Alors que notre groupe d’une vingtaine de personnes avait atteint l’Alpjerung, rarement fréquenté, nous avons rencontré Renato Jordan, l’initiateur du projet et propriétaire de l’Alpjerung. Il guidait un groupe de conseillers nationaux PS sur le site. Roger Nordmann s’est précipité directement vers Maren Kern, la directrice de Mountain Wilderness Suisse. En tant que membre, il s’est dit déçu que nous nous révoltions contre ce qu’il considère comme un projet d’avenir. Une discussion animée s’est alors engagée avec le groupe. Renato Jordan a demandé si nous n’aurions pas dû utiliser un ruban de barrage tricoté et comment nous avions chargé les lampes de chantier. Les conseillères nationales présentes, Ursula Schneider-Schüttel (Pro Natura) et Martina Munz (AquaViva), représentent d’importantes organisations environnementales. On sent bien que pour elles, une décision concernant « Gondosolar » n’est pas simple.
Aucun d’entre eux ne doute de la valeur de cette zone. L’argument en faveur de Gondosolar » souvent avancé par les partisans est que l’installation produirait plus d’électricité en hiver qu’en été, prenant ainsi le relais lorsque sur le Plateau, le brouillard et le faible ensoleillement freinent la production. Car, c’est en effet, la même question qui nous préoccupe tous : comment faire pour ne pas tomber dans une situation de pénurie énergétique en hiver ? Cette question est compréhensible et justifiée. Pour y répondre, deux approches sont nécessaires : 1. nous pouvons couvrir les besoins de base en électricité avec des installations photovoltaïques (PVA) sur des surfaces non problématiques comme les toits des maisons ou les autoroutes. Des études prouvent l’énorme potentiel. Dans les régions alpines également, il existe un grand potentiel pour les PVA dans les zones déjà aménagées pour la production d’électricité en hiver, par exemple dans les stations touristiques ou les installations de ski. Pour cela, nous avons également besoin de capacités de stockage appropriées. 2. notre soif d’énergie est incommensurable ! Tout comme nous ne conseillerions pas à une personne obèse de remplacer simplement ses aliments par d’autres, plus sains et en même quantité, mais de manger moins en même temps, nous devons également consommer moins d’énergie. Pour savoir comment y parvenir, il faut un discours de l’ensemble de la société qui nous aide à distinguer la consommation « nécessaire » de la consommation « luxueuse ». Les solutions doivent être adaptées à chaque situation : Dans les zones rurales, moins desservies par les transports publics, une voiture électrique peut avoir du sens, tandis qu’en ville, c’est une offre culturelle plus large, qui va nécessiter de l’énergie.
Notre groupe se disperse lentement en ce dimanche matin. Certains prennent le sentier des contrebandiers en direction de l’Italie, d’autres marchent encore jusqu’à l’hospice du Simplon. On ne peut arriver à Alpjerung qu’à pied : soit par le côté italien, soit, comme nous l’avons fait samedi, par le hameau d’Alpje. Pour s’y rendre, il faut compter au moins une heure et demie de marche. Il est facile de se perdre sur l’un des sentiers. Il n’y a pas de larges routes. Des ouvriers et des ouvrières en quads se frayeront-ils bientôt un chemin sur ces sentiers étroits pour entretenir le parc solaire, comme nous l’explique un partisan du projet qui a fait la randonnée avec nous ? Nous suivons d’abord la voie romaine, un chemin de communication historique d’importance nationale, avant de prendre le chemin cahoteux qui descend vers Gondo. Soudain, nous restons bouche bée : nous avons effrayé un chamois et son petit juste à côté du chemin de randonnée. Ils s’étaient cachés dans une petite grotte. La mère s’enfuit, le petit court d’abord dans notre direction. Debout sur un bloc de rocher, tous les protagonistes se regardent brièvement, incrédules ; puis il court après sa mère et disparaît dans la forêt. A force de plans, de calculs et de visualisations, nous oublions trop vite que nous évoluons dans un espace naturel avec ses propres lois. Il est aujourd’hui difficile d’évaluer les conséquences de « Gondosolar » sur ce territoire. Il n’existe à ce jour aucune expérience avec des PVA autonomes comparables, ni dans ces dimensions ni à cette hauteur. Espérons que cet espace sauvage pourra garder sa tranquillité encore longtemps !
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