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A vélo à travers les montagnes du monde

Alpes, Andes, Himalaya, Caucase, Pamir, Rocky Mountains : cela fait plus de 30 ans que Claude Marthaler arpente les sommets du monde sur deux roues. Il se décrit lui-même comme « écrivain cyclonaute ». Ses livres sont un hommage aux montagnes avec lesquelles il se sent profondément lié.

Mountain Wilderness : tes destinations favorites sont en montagne, les régions plates semblent ne pas trop t’intéresser.

Claude: L’humain, où qu’il naisse, est toujours le fils de son paysage. A Genève, où que mon regard pointe, il bute contre une montagne. Pour sortir de la ville, il n’y a qu’un chemin : vers le haut ! L’exiguïté territoriale d’un pays aussi plissé que la Suisse développe une claustrophobia alpina, comme l’a bien exprimé feu Nicolas Bouvier. Elle pousse à aller voir « de l’autre côté » du col, du sommet, du massif…

Le terme de « grimpeur » s’applique aussi bien au montagnard qu’au cycliste. Je suis un « yak » (mon surnom), lent, contemplatif et obstiné, qui a besoin de haute montagne, de sa  pente, pour me frotter et m’appuyer contre elle.

Quelle a été ta première passion : la montagne ou le vélo ?

Les deux passions ne s’opposent pas mais se nourrissent mutuellement. A la base, je suis un citadin pur sucre, né dans un appartement, mais dès l’enfance, mes parents nous ont emmenés en montagne, mon frère et moi, pour marcher, nager et skier. Ils aimaient le camping et le feu de forêt, la vie simple au grand air. Plus tard, j’ai pratiqué le scoutisme. L’hiver et la neige sont liés aux vacances passées dans des chalets de montagne, au ski de randonnée, en Valais et aux Grisons.

Le voyage est venu à l’adolescence, lorsque le vélo m’a permis de vivre mes premières échappées, seul ou avec mon cercle d’amis. La rencontre de personnes plus âgées en voyage et la dévoration de récits de voyage a fait le reste.

Comment en es-tu venu à pédaler sur des milliers de kilomètres pour rejoindre un massif montagneux ?

Non seulement pour atteindre leurs pieds, mais plus précisément pour les traverser durant plusieurs mois d’affilée, de la même manière qu’un marin quitte son port d’attache pour aborder le large, l’océan. Une expérience où l’on s’oublie. Elle procure un sentiment océanique, une unité intérieure et cosmique exceptionnelle. L’impression d’être au bout endroit au bon moment, d’être soi-même au plus intime, intensément vitalisé – en son enfance et à l’aube du monde – porté au plus haut par l’effort constant. Un véritable dépouillement. La montagne représente encore, en partie, l’un des derniers espaces sauvages, un refuge de liberté et d’imaginaire.

Qu’y a-t-il de particulier à gravir une montagne à la force de ses propres muscles ?

Cette démarche by « fair means » procure une très grande joie qui atteint parfois l’extase, la sensation de s’être discrètement fait apprivoiser par un lieu, sans déranger. C’est quelque chose de primitif qui saisi les tripes. A vélo, je me sens toujours en résonance avec le monde : en ville, partout, mais plus encore dans un environnement alpin ou himalayen.

Tu as parcouru la Terre entière. Y a-t-il un sommet avec lequel tu as un rapport particulier ?

Oui, le mont Kailash, sa majestueuse silhouette est d’une beauté à couper le souffle, au propre comme au figuré, d’autant plus après trois semaines et demies de mauvaise piste entre 4 000 et plus de 5 000 mètres d’altitude, alternant le pédalage et la marche.

Ce fut pour moi l’accomplissement d’un rêve, un choc esthétique et une révélation, mais aussi une épreuve du feu, de l’épuisement, une purification, un pèlerinage vers mon frère qui se noya en 1979, dans un gouffre en Papouasie/Nouvelle-Guinée. Sa disparition fut l’un des événements foudroyants de ma vie. Dès lors, il devint mon ange gardien, assis sur mon porte-bagage, à qui je fis visiter le monde.

Je suis retourné à vélo au mont Kailash en 2006 avec ma compagne d’alors. Aujourd’hui, cette montagne magique est restée l’épicentre incandescent et magnétique de ma géographie intérieure.

Dans ton livre « Voyages sellestes » tu relates des expéditions vers le Tadjikistan, le Tibet oriental et les Montagnes Rocheuses. Qu’y avait-il de spécial dans ces voyages ?

On dit que seules les montagnes ne se rencontrent jamais, mais l’écriture les a finalement rassemblées dans un volume où elle tient lieu de personnage central. A vrai dire, elle le fut à la fois de tous mes périples et, en filigrane, de tous mes récits.

Dans cet ouvrage, la traversée des Pamirs fut une expérience fondatrice avec ma compagne actuelle, la possibilité de participer au tournage d’un documentaire, de pédaler en Afghanistan et de retourner au Asie centrale, l’une de mes régions de prédilection. Le Tibet oriental fut un ultime et triste voyage dans cette région meurtrie par l’oppression des Tibétains et l’exploitation chinoise effrénée, une situation que j’ai vu à diverses reprises terriblement empirer depuis 1995. Les montagnes Rocheuses me donnèrent l’occasion d’explorer le wilderness américain que je connaissais déjà un peu et permirent les retrouvailles avec quelques amis.ies américains, vingt ans après.

L’acceptation de l’idée, plus tardive, de réunir trois voyages à vélo en un seul livre par un éditeur spécialisé dans les récits et les monographies d’alpinistes, a été une réelle chance de toucher un autre public que les seuls voyageurs à vélo.

Tu es souvent parti loin. Les Alpes ne t’ont jamais suffi ?

J’y vois plus un continuum qu’une opposition, une amplification. Les Alpes sont magnifiques. Je les ai découvertes à l’adolescence à travers le ski de rando et de mes différents traversées à vélo jusqu’à la Méditerranée. Je suis simplement un passionné toujours en quête de sens. Pour m’approcher du magma des êtres et des choses sans me brûler, il me faut fouler son exact opposé : l’altitude. Disons que j’ai vécu comme un baobab à deux roues : les racines déployées dans le ciel. A présent, je tente de toucher la terre de mes mains. De l’exploration du macrocosme à celle du microcosme : probablement fallait-il d’abord me cogner aux rebords du monde et assouvir ma curiosité pour pouvoir me laisser grandir et devenir un adulte « pleinement accompli ».

As-tu un conseil pour toutes celles et ceux qui souhaitent découvrir le monde à vélo ?

Je leur dirai un seul mot : partez ! La vie est si courte ! Je les inviterais volontiers à boire un çai, à partager un repas, les encourageant à ne suivre que leur propre chemin, à l’écoute de leurs tripes et de leur cœur plutôt que de leur tête.

Mountain Wilderness: Avec ta partenaire, tu es en train d’aménager une auberge dans une maison rurale du sud de la France. L’heure de la sédentarité aurait-elle sonné ?

C’est une question centrale dans ma brève existence d’humain qui me traverse d’ailleurs avec de plus en plus d’ insistance, et à laquelle je ne parviens toutefois pas encore à répondre d’une façon indolore, absolue et définitive. N’ayant pas eu d’enfant, j’ai suivi ma voie « nomade », physiquement, librement, sans trop me poser de questions, célébrant la joie de vivre – simplement reconnaissant d’avoir trouvé une voie. Me faudra-t-il à présent de plus en plus me contenter de gravir une montagne intérieure, métaphorique, culturelle ou littéraire ? L’avenir le dira.

C’est en tous les cas un tournant majeur, une étape de ma vie, « la mue du serpent », ce qui implique de faire le deuil d’une certaine jeunesse, d’une grande liberté de mouvement, et d’une forme d’identité et de reconnaissance de « cyclonaute » forgée au cours de mes nombreux voyages, puis des conférences présentées et des livres publiés.

Je souhaite avant tout continuer à mordre dans la vie à pleines dents, à voyager encore, à écrire, et à embellir La Bastide de la Source, ce lieu que je partage avec ma compagne dans le Luberon comme une porte grande ouverte sur le monde. Dans l’immobilité de cet axis mundi, les voyageurs viendraient à nous, c’est notre pari. Un lieu d’accueil et de ressourcement, c’est notre souhait le plus cher.

Auteur, organisateur de festivals, multitalent

Né à Genève en 1960, Claude Marthaler a voyagé à vélo autour du monde durant 16 années, dont un tour continu de 7 ans (1994 à 2001, 122 000 km, 60 pays). Il est l’auteur de 11 livres, 2 diashows, il est aussi le coréalisateur du film documentaire « Bike for bread ». Deux documentaires télévisés lui ont également été consacrés : « La fin du voyage » et « Claude Marthaler, embrasser la terre ». Avec d’autres passionnés, il a fondé « Festivélo », le Festival Suisse du voyage à vélo. Son nouveau livre « L’appel du volcan » (2021) décrit l’ascension du Ojos del Salado au Chili ainsi qu’une expédition au Cho-Oyu, pour explorer sa nature profonde.

claudmarthaler.ch

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